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Caractériser l’impact des cabris en milieu naturel préservé

Initialement introduit sur l’île par l’Homme pour assurer sa subsistance, le Cabri (Capra hircus) fait aujourd’hui partie du paysage réunionnais, au sens propre comme au figuré. En témoigne le bien-nommé « Piton Cabri » au cœur du cirque de Mafate. Sa présence dans des milieux naturels préservés soulève cependant des questions, quant aux impacts possibles sur la flore et faune endémiques de La Réunion.

Observations et premières interrogations

Si la présence de cabris à proximité du Grand Bénare est connue depuis longtemps, les agents du Parc national ont dernièrement constaté des impacts croissants sur le milieu. Au cours de leurs missions de suivi des populations de Pétrels, ils remarquent en effet de plus en plus de végétaux broutés et écorcés ainsi qu'un piétinement renforcé de la zone. Des observations qui ne cessent de se multiplier ces dernières années, tandis que le nombre de cabris aperçus sur le site augmente également.

Ces constatations soulèvent bien des interrogations. Milieu naturel d’exception à forte valeur patrimoniale, le Grand Bénare abrite en effet un grand nombre d’espèces végétales uniques au monde. Cette zone, qui a été identifiée comme « aire de naturalité préservée » dans la charte du Parc national, est un habitat rare et pour l'heure très bien préservé. La présence accrue de cabris ne menace-t-elle pas de porter atteinte à des espèces endémiques et de bouleverser durablement ce milieu remarquable ? De plus, le Pétrel de Barau qui niche dans ces remparts est une espèce en danger d’extinction, endémique de La Réunion et sensible au dérangement et aux perturbations de son écosystème. Les cabris ne risquent-ils pas de piétiner le sol dans lequel les oiseaux pondent leurs œufs ?

Elaboration et mise en œuvre d’un protocole dédié

Pour tenter de répondre à ces questions, le Parc national s’est récemment saisi du sujet, avec comme premier objectif celui de confirmer les observations et d’objectiver l’impact de l’espèce sur ce site préservé. Pour ce faire, les équipes du Parc national ont organisé une sortie partenariale sur le terrain. Lors de cette première reconnaissance, ils ont pu catégoriser les différents indices de présence des cabris et mieux identifier les lieux d’attroupements et de repos des individus.

A la suite de cette sortie, le Parc national a élaboré un protocole scientifique afin d’établir un diagnostic objectif de la situation. La mise en œuvre de ce dernier a permis de relever des traces de présences nombreuses et variées : abroutissement, écorçage, branches cassées, végétaux morts, frottements de cornes, piétinement, trace de cheminement, empreintes, urine, crottes, odeur, couchette, poils…

Le déploiement du protocole a également permis de caractériser l’impact des cabris sur la végétation d’altitude. Le broutage d’espèces protégés comme le petit tamarin des hauts (Sophora denudata) ou le Faujasia squamosa (en danger critique d'extinction) a été confirmé en de nombreux points, de même que celui d’Ambaville bâtard (Phylica nitida) ou encore de Fleurs jaunes (Hypericum lanceolatum). Un piétinement des branles verts et branles blancs a également été constaté.

Parallèlement, des caméras disposées sur les zones de repos identifiées ont permis de relever des données sur le nombre d’individus présents. Différent individus ont ainsi été observés, dont des femelles allaitantes, preuve de la reproduction de l’espèce a proximité du site.

Un diagnostic à affiner

Les données collectées grâce à la mise en œuvre de ce protocole sont encore à ce jour en cours d’analyse. Elles permettent cependant d’ores et déjà de confirmer une présence forte de cabris sur ce site sensible, au-delà des espaces initialement identifiés. Plusieurs questions restent en suspens : comment expliquer les impacts grandissants des cabris sur ce site ? La population a-t-elle augmentée ou bien a-t-elle migrée depuis d’autres zones ? Combien d’individus sont présents sur ce site et à quelle vitesse cette population croit-elle ? Le travail d’enquête du Parc national se poursuit…

Pour l’aider dans cette démarche, il peut compter sur le partenariat établi en SANParks, qui administrent les Parcs nationaux d'Afrique du Sud. Nos voisins rencontrent en effet une situation similaire le Tahr de l'Himalaya (Hemitragus jemlahicus). Fin 2022, les équipes du Parc national de Table Mountain, en visite sur l’île, se sont rendues sur le site du Grand Bénare pour partager leurs expériences in-situ avec les agents du Parc national de La Réunion. Prochainement, ces derniers se rendront à leur tour en Afrique du Sud pour poursuivre les échanges.

Ce travail de diagnostic s’inscrit dans le cadre plus large de la Lutte contre les Espèces Exotiques Animales, pour lequel le Parc national bénéficie de financements de l’Europe via les fonds FEDER, et de la Région Réunion.

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© Parc national de La Réunion