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Suivi des populations de Pétrels noirs de Bourbon

Il faut parfois avoir le cœur bien accroché pour préserver les richesses de notre île ! Une équipe du Parc national vient de passer 3 jours pratiquement suspendue dans le vide, dans le cadre du suivi des populations de Pétrels noirs.
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Poussin pétrel noir © Life+ Pétrels - F. Jan

Une espèce en danger critique d'extinction

Espèce d’oiseau marin endémique de La Réunion, le Pétrel noir de Bourbon (Pseudobulweria aterrima) est aujourd’hui en danger critique d’extinction. Si on soupçonnait sa présence sur l’île depuis longtemps, ce n’est qu’en 2016 que la première colonie a été formellement identifiée. Depuis, 3 autres ont été découvertes mais on estime à moins de 200 le nombre total d’individus sur l’île et donc dans le monde. Ceci en fait l’une des espèces d'oiseaux marins les plus rares à l’échelle planétaire. Afin de mieux protéger cet oiseau, il est indispensable de comprendre ses comportements et de suivre l’évolution des populations. Une mission qui nécessite une expertise technique et scientifique de haut niveau.

 

Des sites difficiles d’accès

Présent sur l’île de juillet à avril, pour sa reproduction, le Pétrel noir niche en effet dans des lieux pour le moins difficiles d’accès. L’espèce creuse ses terriers dans des falaises entre 650 et 1200 mètres d’altitude, sur les pentes vertigineuses de lieux tenus secrets pour assurer la tranquillité des oiseaux. Pour en surveiller les populations, le premier défi consiste donc à atteindre ces colonies. Parfois, tout accès terrestre est impossible. C’est le cas de la colonie visitée cette semaine par l'équipe du Parc et de l’Université, qui a dû recourir à un transport héliporté pour s’approcher du site de reproduction. Une fois sur place, une marche en milieu dense et escarpé aura encore été nécessaire pour atteindre la zone de campement où ils ont passé deux nuits dans des conditions sommaires. Les hamacs dressés et les vivres rassemblés, l’inspection des colonies peut commencer.

 

Evaluation du succès reproducteur

Alors que les pétrels adultes sont déjà repartis faire leur vie en haute mer, les hommes s'aventurent en falaise, afin d’inspecter les terriers qui abritent chacun un poussin unique laissé seul au nid. Équipés de cordes et de baudriers, l’équipe formée aux techniques d'alpinisme doit descendre 30 à 40 mètres à pic pour atteindre les nids. Mission du jour ? Évaluer le succès reproducteur de la vingtaine de couples présents sur la colonie. En d’autres termes : vérifier si les œufs inventoriés en novembre lors d’une précédente mission ont éclos. De là dépend la survie même de l’espèce.

L’opération est délicate. Seuls des bagueurs agréés, formés et expérimentés, sont autorisés à manipuler les oiseaux. Chaque poussin est ainsi délicatement extrait de son terrier puis bagué afin de permettre une future identification. C’est aussi l’occasion de récolter des informations sur les individus, telles que leur poids, la longueur de leur bec et celle de leurs ailes. Les données recueillies seront transmises à l’Université en charge de leur analyse.

Avant l’inspection de chaque terrier, c’est la même interrogation : l'œuf aura-t-il éclos ? Un poussin sera-t-il présent ? Un pétrel noir ne pond qu’un unique œuf par an. Chaque oisillon est donc précieux et un nid vide est signe de mauvaise nouvelle. Lorsque cela se présente, le plus probable est que l'œuf ou le poussin aura eu la malchance de servir de dîner à un rat ou un chat. Car malgré l’isolement de leurs sites de reproduction, les pétrels ne sont pas à l’abri de ces prédateurs. Ces derniers sont même la principale cause de l’effondrement des populations de pétrels depuis l’arrivée de l’Homme.

 

Opérations de dératisation

C’est donc la deuxième mission essentielle des équipes sur place : assurer une lutte active contre les prédateurs de l’espèce. Introduits par l’Homme au cours des derniers siècles, les rats et les chats font en effet des ravages dans les populations d’oiseaux endémiques. Ces derniers n’ayant connu aucun prédateur pendant des centaines de milliers d’années, ils n’ont pas pu développer les réflexes nécessaires pour se protéger de ces nouveaux prédateurs. On estime qu’un chat haret* tue jusqu’à 90 pétrels par an. Les rats ne sont pas en reste et se régalent des œufs déposés dans les terriers, voire de jeunes poussins.

Sur place, des caméras autonomes surveillent la présence des prédateurs. La visite de la colonie est donc l’occasion de relever les données enregistrées par ces dispositifs, afin d’analyser les images après la mission. Les équipes procèdent également au réapprovisionnement des appâts des pièges à rats mécaniques disposés aux alentours de la zone. Depuis le lancement de ces actions de dératisation en 2016, le succès reproducteur des pétrels noirs présents sur la colonie a augmenté significativement, preuve que la lutte contre les rats est essentielle pour assurer la survie de l’espèce.

 

De nombreux défis à venir

Si les poussins bagués cette semaine échappent aux prédateurs, ils seront prêts à prendre leur envol d’ici quelques semaines. Commencera alors pour eux une vie en haute mer, dans l’océan indien. Cependant, de nombreux dangers les attendent, à leur envol puis en mer : percussion avec des câbles, désorientation due à la pollution lumineuse, ingestion de microparticules de plastique, contamination par des métaux lourds dans les océans…

Dans quelques années, ceux qui auront survécu à tous ces dangers atteindront leur maturité et seront en capacité de se reproduire. Ils reviendront alors sur l’île chaque année pour y pondre à leur tour, et ainsi assurer la pérennité de l’espèce. Une espèce unique au monde, qu’il convient de protéger pour préserver le fragile équilibre écologique de l’île.

 

Cette mission s’inscrit dans le cadre d’une coopération entre le Parc national et le programme SMAC (Seabird Multidisciplinary Applied research for Conservation) porté par l’Université de La Réunion.

 

*Chat haret : Chat domestique sans maître, ou issu de sa descendance, retourné à l’état sauvage.